Depuis la montagne des Signaux, elle contemple l'océan Indien d'un regard immuable. Trois mètres de marbre blanc de Carrare, quatre tonnes de silence sculptée, Marie, Reine de la Paix veille sur Maurice depuis 85 ans. En cette année anniversaire, le sanctuaire qui l'abrite continue d'attirer pèlerins et visiteurs, témoignage vivant d'une époque où la foi se dressait face aux tourments de l'Histoire.
Une réponse spirituelle à la barbarie
L'histoire de ce monument singulier prend racine dans les heures les plus sombres du XXe siècle. En 1940, alors que l'Europe s'embrase et qu'un sanctuaire marial polonais tombe sous les bombes, Mgr James Leen, évêque de Port-Louis, conçoit un projet audacieux. "C'est lui qui a proposé le nom de Marie, Reine de la Paix, pour demander pardon pour le sacrilège qui a été fait à la statue de la Vierge en Pologne", explique Monique Dinan, auteure de plusieurs ouvrages consacrés à l'histoire religieuse mauricienne.
Le choix de l'emplacement obéit à une logique stratégique autant que spirituelle. Perchée à 53 mètres d'altitude, la statue devait "dominer Port-Louis et veiller sur le port, principal accès maritime, alors que la Seconde Guerre mondiale faisait rage", précise l'historienne. Dans une île qui servait de base arrière aux forces britanniques, cette protection mariale n'avait rien de symbolique.
L'art au service de la dévotion
Réalisée dans les ateliers de Fernandino Palla à Pietrasanta, en Italie, la statue témoigne du savoir-faire des artisans transalpins. La Vierge, représentée tenant le globe terrestre près de son épaule gauche, exprime une "tendresse mêlée de compassion" qui a marqué des générations de fidèles. L'ensemble architectural, conçu selon un plan minutieux, invite à l'élévation : 82 marches réparties sur sept terrasses mènent au sanctuaire, bordées de jardins fleuris qui transforment l'ascension en méditation.
Le site, édifié sur un terrain de près de 28 mètres carrés, adopte la forme d'un arc allongé de plus de 34 mètres de longueur. Chaque détail architectural porte la marque d'une époque où l'art religieux se voulait à la fois grandiose et accessible.
Théâtre de l'histoire religieuse mauricienne
Depuis son inauguration le 15 août 1940, devant près de 40 000 personnes, le sanctuaire a accueilli les moments les plus marquants de la vie catholique mauricienne. Les ordinations épiscopales de Mgr Jean Margéot (1969) et de Mgr Maurice E. Piat (1991), la visite historique du pape Jean-Paul II en 1989, puis celle du pape François en 2019, ont consacré ce lieu comme un haut lieu du catholicisme dans l'océan Indien.
Ordination du Mgr Durhône (Photo Joey Niclès Modeste)
Plus récemment, l'ordination de Mgr Jean Michaël Durhône en août 2023 a confirmé la pérennité de cette tradition. Ces célébrations, qui rassemblent parfois entre 10 000 et 40 000 fidèles, témoignent de l'enracinement populaire de ce sanctuaire dans la société mauricienne.
Un symbole qui transcende les clivages
Au-delà de sa dimension religieuse, Marie, Reine de la Paix est devenue un repère identitaire pour l'ensemble des Mauriciens. Dans une société marquée par sa diversité ethnique et religieuse, la statue offre un point de convergence rare. Sa silhouette, visible depuis de nombreux points de l'île, ponctue le paysage urbain de Port-Louis d'une présence rassurante.
Cette fonction protectrice, née des angoisses de la guerre, perdure dans l'inconscient collectif. Pendant les années de conflit, alors que la capitale était plongée dans l'obscurité du black-out, "les lumières du sanctuaire ne s'éteignaient jamais", rappelle Monique Dinan. "Et le site ne fut jamais bombardé", ajoute-t-elle, laissant entendre que cette protection divine reste ancrée dans les mémoires.
Un avenir entre tradition et modernité
Aujourd'hui, le sanctuaire fait face aux défis de la modernité. L'affluence touristique, attirée par la vue panoramique exceptionnelle qu'offre le site, se mêle aux pèlerinages traditionnels. Cette dualité entre tourisme et spiritualité interroge sur l'avenir de ce lieu de mémoire.
Les célébrations du 85e anniversaire, marquées notamment par une messe de Pentecôte au cours de laquelle 73 personnes recevront le sacrement de confirmation, témoignent de la vitalité persistante de ce sanctuaire. Dans un monde en mutation rapide, Marie, Reine de la Paix continue d'incarner une permanence, un ancrage dans l'histoire collective mauricienne.
Gardienne silencieuse d'une île qui a su préserver sa paix sociale malgré les défis, elle demeure ce qu'elle a toujours été : un pont entre le ciel et la terre, entre le passé et l'avenir, entre les peurs d'hier et les espoirs de demain. Sur la montagne des Signaux, le marbre blanc continue de défier le temps, témoin de la résilience d'un peuple qui a fait de la diversité sa richesse et de la paix son trésor le plus précieux.
PHOTO DE COUVRETURE : Jay Vithaldas.