L'approche novatrice consiste à greffer des scions de « bois pasner » sur des porte-greffes de « bois catafaille noir », dans l'espoir que ce dernier puisse favoriser la survie et la croissance du premier. Une expérience audacieuse qui montre des signes prometteurs de réussite et pourrait bien constituer la dernière bouée de sauvetage pour le « bois pasner ».
Une espèce au bord du gouffre
Le « bois pasner » ne se trouve plus que sur les plaines balayées par les vents de Rodrigues. Endémique de cette île, il ne subsiste que trois spécimens sauvages connus — deux arbres et un bonsaï naturel — respectivement dans la Réserve Naturelle d'Anse Quitor et la Réserve François Leguat.
Cette espèce, autrefois répandue à Rodrigues, a été décimée par la dégradation de son habitat causée par des animaux invasifs comme les chèvres (Capra hircus) et les rats (Rattus spp.), ainsi que des plantes exotiques agressives, notamment l'acacia (Leucaena leucocephala), la lantana (Lantana camara) et le pongamia (Pongamia pinnata). La régénération naturelle s'est avérée extrêmement limitée.
Le problème est amplifié par le caractère dioïque de l'espèce : les arbres sont soit mâles, soit femelles, ce qui signifie que la reproduction ne peut avoir lieu que si les deux sexes sont présents et fleurissent simultanément pour permettre la pollinisation — phénomène rarement observé dans la nature.
Un engagement de longue haleine
Malgré ces défis considérables, la MWF s'est engagée à sauver cette espèce depuis 1996, lorsque les travaux de conservation ont débuté en partenariat avec le Service Forestier de Rodrigues et avec le soutien de botanistes et conservationnistes internationaux. Parmi les partenaires figurent le Service Forestier (Maurice et Rodrigues), le Bureau National de Protection des Plantes (Maurice), le Jardin Botanique de Brest (France), le Jardin Botanique Tropical National (Hawaï), Air Mauritius et l'Assemblée Régionale de Rodrigues.
Les efforts ont été méticuleux et s'inscrivent dans la durée. Les trois arbres restants font l'objet d'une surveillance attentive et sont protégés par des murs de soutènement en pierre pour prévenir l'érosion. Des supports en bois et en métal stabilisent les troncs inclinés de l'un des deux arbres. Au fil des ans, la MWF a éliminé les espèces végétales invasives dans la Réserve Naturelle d'Anse Quitor et amélioré les conditions du sol en plantant des espèces indigènes fixatrices d'azote comme le Sophora tomentosa.
Chaque fleur et fruit immature du « bois pasner » a été observé et enregistré, et des tentatives ont été faites pour collecter des graines viables à des fins de propagation, avec un succès limité.
Une percée scientifique prometteuse
L'une des avancées majeures est survenue il y a quelques années lorsque, sous la direction du Jardin Botanique de Brest, des greffes réussies de « bois pasner » sur des porte-greffes de Zanthoxylum heterophyllum, acheminés depuis Maurice, ont été réalisées. Cette réussite marque une étape significative après de nombreuses années de tentatives infructueuses pour cultiver la plante à partir de graines ou de boutures.
« Nous avons actuellement sept greffes de "bois pasner" dans notre pépinière à Rodrigues, les seules existantes en dehors des trois spécimens sauvages », confie un responsable de la MWF. « Ce succès de greffe a ouvert de nouvelles perspectives pour la conservation de cette espèce, mais cela n'est pas encore suffisant pour prévenir son extinction ».
Pour progresser davantage et sécuriser l'avenir de l'espèce, d'autres greffes de « bois pasner » sur le « bois catafaille noir », utilisant la même méthode, sont prévues.
Dans un monde où la biodiversité s'érode à un rythme alarmant, cette alliance entre deux espèces menacées représente un symbole d'espoir et témoigne de l'ingéniosité des conservationnistes dans leur lutte contre l'extinction. Le destin du « bois pasner » repose désormais sur cette greffe botanique inédite — un mariage forcé mais nécessaire entre deux rescapés de la flore mascarène.
Source : Mauritius Wildlife Foundation