Ce petit bout de terre volcanique de 219 hectares, dont le cône abrupt émerge majestueusement des flots, recèle en son sein un trésor d'une valeur inestimable : une faune et une flore endémiques miraculeusement sauvées de l'extinction. Mais cette réussite exceptionnelle n'est pas le fruit du hasard. Elle couronne cinquante années d'efforts acharnés et de patience scientifique.
Un paradis perdu puis retrouvé
L'histoire de l'île Ronde s'apparente à celle d'un paradis perdu puis miraculeusement retrouvé. Durant plus d'un siècle et demi, cette terre insulaire a subi les assauts destructeurs d'espèces invasives, chèvres et lapins en tête, qui ont méthodiquement rongé sa végétation originelle. L'érosion des sols et la disparition progressive des espèces endémiques semblaient alors inexorables.
Pourtant, en 1957, les autorités mauriciennes prennent une décision salvatrice : l'île devient réserve naturelle, interdite au public. Plus important encore, un programme d'éradication systématique des espèces invasives est lancé. En 1986, le dernier des animaux destructeurs disparaît de l'île. Commence alors, sous l'égide de la Fondation mauricienne pour la vie sauvage et du service national des parcs, une œuvre de titan : la restauration complète de cet écosystème unique.
Un bestiaire extraordinaire renaît de ses cendres
Aujourd'hui, l'île Ronde abrite un bestiaire d'une richesse extraordinaire. Parmi ses pensionnaires les plus prestigieux figure le scinque de Telfair, imposant lézard terrestre qui joue un rôle essentiel dans l'équilibre écologique en régulant les populations d'insectes. Le gecko de Günther, du nom du zoologiste allemand qui l'a décrit, déploie ses vingt-cinq centimètres de longueur gris-brun entre les palmiers lataniers et les pandanus.
Plus spectaculaire encore, le boa à carènes vit une véritable résurrection. Cette espèce arboricole et nocturne, autrefois répandue sur l'île Maurice avant d'être décimée par les espèces invasives, trouve désormais dans l'île Ronde son ultime refuge. Hélas, son cousin le boa fouisseur de l'île Ronde n'a pas eu cette chance : l'espèce s'est éteinte, rappelant cruellement la fragilité des écosystèmes insulaires.
Un sanctuaire pour les oiseaux marins
L'île Ronde s'est également muée en sanctuaire ornithologique d'importance mondiale. Elle constitue l'unique site de nidification connu dans l'océan Indien du pétrel de l'île Ronde, oiseau mystérieux dont la taxonomie demeure incertaine et qui pourrait être un hybride de plusieurs espèces. Les paille-en-queue à brins rouges et à brins blancs, reconnaissables à leurs plumes caudales spectaculaires, nichent dans les falaises abruptes, aux côtés des puffins du Pacifique et des pétrels de Bulwer.
Une flore palmée renaissante
La végétation insulaire n'est pas en reste dans cette renaissance. Là où dominaient autrefois des forêts d'arbres durs aujourd'hui disparues, une palmeraie endémique reprend ses droits. Le palmier bouteille de l'île Ronde, l'une des essences les plus rares au monde, que l'on croyait éteint, renaît grâce aux efforts patients des conservateurs. Le latanier bleu, avec ses feuilles en éventail caractéristiques, colonise à nouveau les ravines escarpées.
Cette renaissance n'est cependant pas exempte de revers. L'île vient de perdre son dernier palmier ouragan sauvage, emporté par une tempête. Seuls subsistent quelques spécimens cultivés ailleurs à partir de graines collectées dans les années 1990, ténu espoir de sauver l'espèce de l'extinction définitive.
L'éternel combat pour la préservation
Car si l'île Ronde incarne un succès retentissant de la conservation, elle demeure fragile. De nouvelles espèces végétales invasives menacent constamment l'équilibre retrouvé, tandis que les changements climatiques font peser des incertitudes inédites sur cet écosystème reconstitué de toutes pièces.
Cinquante ans après sa désignation comme réserve naturelle, l'île Ronde témoigne qu'avec de la volonté, de la science et du temps, l'homme peut réparer ses erreurs passées. Dans un monde où la biodiversité s'effrite chaque jour davantage, ce petit caillou volcanique perdu dans l'océan Indien illumine l'horizon de ses promesses : oui, il est encore possible de sauver ce qui semblait irrémédiablement perdu.