Dans l'enceinte feutrée du Musée intercontinental de l'esclavage de Port-Louis, hier, s'est déroulée une cérémonie d'une gravité particulière. Le président de la République de Maurice, M. Dharam Gokhool, et le Premier ministre par intérim, M. Paul Raymond Bérenger, ont conjugué leurs voix pour exhorter leurs compatriotes à ne point détourner le regard de cette mémoire douloureuse qui, tel un palimpseste, continue d'imprégner l'âme mauricienne.
Cette commémoration, qui inaugure une semaine d'événements du 19 au 23 août, s'inscrit dans le cadre de la Journée internationale pour la mémoire de la traite négrière et de son abolition, instituée par l'UNESCO en 1997. Date symbolique s'il en est, le 23 août rappelle l'une des tragédies les plus effroyables de l'humanité : pendant quatre siècles, entre 25 et 30 millions d'âmes furent arrachées à leur terre natale africaine pour être transplantées, dans des conditions d'une barbarie inouïe, vers les Caraïbes et les Amériques.
Le devoir de mémoire, pilier de l'avenir
Dans son allocution empreinte de solennité, le chef de l'État a souligné combien la conscience historique demeure le fondement même de l'édification nationale. « Il est impérieux que le peuple mauricien appréhende dans toute sa complexité cette histoire qui a façonné notre singulier creuset multiculturel », a-t-il déclaré, rendant un hommage appuyé aux chercheurs et académiciens qui, par leurs travaux minutieux, éclairent les zones d'ombre de ce passé tumultueux.
M. Bérenger, quant à lui, a choisi d'exhumer de l'oubli ces gestes de résistance qui, dès l'époque de la colonisation hollandaise, témoignaient d'une humanité indomptable. Loin de l'image d'Épinal d'une servitude résignée, le Premier ministre par intérim a évoqué ces « révoltes silencieuses et insurrections » qui, malgré une répression implacable, attestaient d'une soif de liberté jamais éteinte.
« Ces mouvements de résistance constituent l'un des fils conducteurs de notre identité nationale », a-t-il affirmé, avant d'aborder avec une rare clairvoyance la question épineuse des réparations historiques. Maurice, en sa qualité de membre de l'Union africaine et de nation pétrie par l'histoire de l'esclavage et de l'engagisme, se trouve légitimée à participer pleinement au débat sur la justice historique.
Des visages retrouvés
L'événement a été marqué par l'inauguration de l'exposition « Vizaz nou Zanset » (Visages de nos ancêtres), dévoilant au public mauricien des bustes en plâtre d'esclaves est-africains, œuvres de l'ethnographe Eugène Huet de Froberville réalisées au milieu du XIXe siècle. Ces moulages, dont certains furent pris sur le vif, offrent un témoignage saisissant de humanité de ces êtres réduits en esclavage.
Parallèlement, une exposition temporaire intitulée « Représentation iconographique de l'insurrection de 1695 » présente les œuvres d'étudiants de l'Institut Mahatma Gandhi, qui ont donné une interprétation artistique de cette révolte historique menée au Fort Frederik Hendrik de Vieux Grand Port contre les maîtres hollandais.
La cérémonie s'est achevée par le lancement de « Tras Interkontinantal », une nouvelle publication du musée destinée à démocratiser la connaissance de cette histoire et à établir des ponts avec les enjeux contemporains.
En ces temps où l'amnésie guette les sociétés modernes, l'initiative mauricienne rappelle avec force que seule la vérité historique, fût-elle douloureuse, peut prémunir l'humanité contre la répétition de ses errements les plus funestes.