Dans le paysage artistique de l'île Maurice, certaines figures émergent comme des lucioles dans la nuit tropicale, illuminant de leur singularité un horizon culturel déjà riche de mille influences. Joanne Sambat, dont le parcours s'apparente à un lent éveil après une longue hibernation, s'inscrit dans cette lignée de créateurs qui puisent leur force non pas dans l'académisme, mais dans les profondeurs de leur être intérieur. Après avoir délaissé ses pinceaux pour se consacrer à l'édification d'une vie familiale, elle a ressenti cet appel irrésistible, ce vide existentiel que seule la création pouvait combler.
Ce qui frappe d'emblée dans sa démarche artistique, c'est cette dimension onirique qui irrigue l'ensemble de son œuvre. Ses tableaux naissent souvent des visions nocturnes qui la visitent, comme si son inconscient libéré des contraintes diurnes devenait le véritable atelier de sa créativité. « Je peins ce que je vois en rêve très souvent », confie-t-elle avec une simplicité désarmante. Cette approche intuitive rejette les cadres préétablis et les méthodes systématiques – « routine et art ne vont pas ensemble » - pour privilégier une expression authentique, presque médiumnique, où les « matières peu orthodoxes » deviennent les vecteurs d'une sensibilité affranchie des convenances.
L'influence de Frida Kahlo, qu'elle cite comme l'artiste qu'elle souhaiterait rencontrer par-delà le temps, transparaît non pas tant dans une esthétique similaire que dans cette même volonté farouche d'indépendance créative. Face aux « critiques d'artistes qui se disent professionnels », elle a parfois douté, mais jamais au point de renoncer à cette liberté fondamentale qui constitue l'essence même de sa pratique. La peinture devient alors un acte de résistance contre « les normes imposées par ce monde qui amoindrit les capacités intellectuelles et créatives de l'être humain ».
Si l'île Maurice nourrit son imaginaire, ce n'est pas à travers ses paysages emblématiques – « flamboyant, Coin de Mire, plages, dauphins, dodos » - que tant d'autres ont déjà fixés sur leurs toiles, mais plutôt par ce qu'elle nomme avec justesse « le mélange des cultures, les expressions épicées, notre façon de vivre ». Sa démarche s'éloigne ainsi du pittoresque touristique pour capter quelque chose de plus essentiel : l'âme mauricienne dans sa complexité vibrante, ses contradictions fécondes, sa beauté composite. Chaque coup de pinceau devient alors une manière de « réinventer le monde », de transfigurer le réel pour en extraire une vérité plus profonde, plus personnelle, et paradoxalement plus universelle.
Si vous deviez vous présenter, que diriez-vous ?
Je dirais que je suis une humaine qui expérimente la vie à travers ses cinq sens (et plus) et qui s'efforce d'être en harmonie avec le monde qui l'entoure, chose qui n'est pas toujours aisée.
Y a-t-il eu un moment décisif où vous avez décidé de suivre votre voie en tant qu'artiste ?
J'ai toujours aimé dessiner étant petite, j'ai réalisé quelques « classiques » pour décorer mon foyer (frangipaniers, bambous). Puis j'avais cessé durant une longue période pour me consacrer à ma famille et aux choses plus matérielles. Lorsque j'ai ressenti un vide dans ma vie, un manque de saveur, j'ai recommencé à peindre, mais de façon plus singulière cette fois.
Pouvez-vous nous parler du processus de création de vos œuvres ?
Mes œuvres ne se concrétisent pas sans inspiration, sans ce moment « eurêka », sans rêve... Et oui, je peins très souvent ce que je vois en songe. Je ne me cantonne pas à un processus défini, je peins au gré de mon imagination, utilisant des thèmes et des matières peu orthodoxes.
Pour quelle œuvre d'art aimeriez-vous que l'on se souvienne de vous ?
J'ai oublié quel nom j'avais donné à cette œuvre, je vous la présente en photo.
Comment définiriez-vous la beauté ?
La beauté est une harmonie de formes, de couleurs, de proportions - ce qui se retrouve dans la perfection de la nature ou de certaines œuvres humaines également. La beauté réside pour moi aussi dans les matières naturelles et nobles.
Avez-vous une photographie ou une peinture préférée qui vous inspire ?
Une peinture qui m'inspire est le Xolotl de Frida Kahlo.
Quel est votre plus grand plaisir dans la vie ?
Le plus grand plaisir pour moi dans la vie est de voir s'épanouir librement (et j'insiste là-dessus) ceux que j'aime, loin des confins, des normes imposées par ce monde qui, à mon sens, amoindrit les capacités intellectuelles et créatives de l'être humain.
Quel artiste (mauricien ou étranger) du passé aimeriez-vous rencontrer ?
Frida Kahlo, sans hésiter.
Interagissez-vous avec le monde numérique/la technologie dans votre travail ?
Dans mon art, aucune technologie, mais je reste ouverte aux nouvelles expériences.
Avez-vous déjà eu un moment où vous avez entièrement remis en question votre carrière ?
Oui, face aux critiques d'artistes qui se disent « professionnels ».
Quelle est votre routine quotidienne lorsque vous travaillez ?
Je n'ai pas de routine en art, j'en ai une dans ma vie professionnelle. Pour moi, routine et art ne vont pas ensemble.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune artiste qui voudrait suivre vos pas ?
Je dirais au/à la jeune artiste de suivre son instinct créateur, de laisser parler son âme, sans forcer, sans se limiter, de façon très naturelle.
Pourquoi aimez-vous ce que vous faites ?
Parce que cela me permet de m'évader, de réinventer le monde, de coucher mes rêves sur la matière, et parfois de les manifester pour de vrai.
Y a-t-il un avantage à être une femme artiste ?
Hmm, l'avantage, c'est que les gens, et les enfants surtout, sont d'abord plus curieux et s'approchent plus facilement de l'artiste féminine avant de découvrir ses œuvres.
Un compliment qui vous fait fondre ?
Quand on me dit que je fais plus jeune, je l'avoue.
À quel point l'île Maurice est-elle une source d'inspiration pour vous ?
Ah, l'île Maurice, il y a tellement à dire et tellement à découvrir aussi. Le mélange des cultures, les expressions épicées, notre façon de vivre, notre nature et nos paysages montagneux atypiques. Je ne peins pas souvent les classiques de Maurice (flamboyant, Coin de Mire, plages, dauphins, dodos), je peins ce que me font ressentir mon pays et son peuple.