Un séjour mondain devenu légende touristique
L'histoire commence en 1972-1973, lorsque Gaëtan Duval, ministre du Tourisme d'un jeune État mauricien fraîchement indépendant, convie l'actrice la plus désirée du monde dans son île encore confidentielle. À cette époque, Maurice ne compte que deux vols internationaux hebdomadaires et mise tout sur quelques noms flamboyants pour exister sur la carte du tourisme mondial. Bardot, alors au faîte de sa gloire planétaire, incarne à elle seule la modernité occidentale, le glamour et la liberté.
Les rares clichés qui subsistent de ce séjour, signés du photographe Christian Brincourt, montrent « BB » cheveux au vent, vêtue d'un pantalon clair, posant devant le château de Villebague avant d'apparaître à un dîner mondain aux côtés du tribun mauricien. Plusieurs images, devenues cultes, avec les propritaires du célèbre restaurant "Lai Min", de Port-Louis dont aussi partie des beaux souvenirs. Ces images, largement partagées aujourd'hui sur les réseaux sociaux, nourrissent la construction d'un récit rétro-chic où Maurice se raconte à travers les silhouettes de ses visiteurs célèbres.
Pour une destination qui entend se positionner comme le « Saint-Tropez de l'océan Indien », faire venir Brigitte Bardot relève autant du coup de poker diplomatique que du geste fondateur. Gaëtan Duval, dandy de la politique mauricienne, comprend la valeur du capital symbolique : avec Bardot, mais aussi Dalida, Alain Delon ou Mick Jagger, il offre à Maurice les contours d'un refuge pour élites européennes en quête d'exotisme sûr et raffiné.
B.B en compagnie du propriétaire du restaurantr Lai Min à Port-Louis
Une iconographie qui fait débat
Pourtant, ces photographies ne font pas l'unanimité. Sur certains clichés, Bardot apparaît entourée d'enfants mauriciens qui la contemplent avec une déférence presque religieuse. Cette imagerie, que d'aucuns qualifient de néocoloniale, cristallise les ambiguïtés d'une époque où le regard européen sur les tropiques oscillait entre fascination et condescendance.
Dans les hommages récents à Gaëtan Duval, disparu en 1996, ses héritiers politiques ne manquent jamais de rappeler qu'il « a fait venir Brigitte Bardot à Maurice », comme si ce fait d'armes scellait définitivement son œuvre de promoteur du pays. L'actrice française n'a certes jamais tourné de film sur l'île, et Maurice ne constitue qu'un chapitre anecdotique de sa biographie artistique. Mais l'image persiste, telle une preuve par le cliché que l'île fut, très tôt, digne d'accueillir les plus grands noms de la jet-set internationale.
De l'actrice glamour à la militante intransigeante
Si Brigitte Bardot tire un trait sur sa carrière cinématographique en 1973, c'est pour se consacrer corps et âme à la défense de la cause animale. Dès lors, la présidente de la Fondation Brigitte Bardot se signale par des campagnes parfois brutales contre les maltraitances à travers le monde. Dans l'océan Indien, son nom revient surtout en 2019 lorsqu'elle qualifie les Réunionnais de « population dégénérée » dans une lettre ouverte, ce qui lui vaut une nouvelle plainte pour incitation à la haine raciale.
Ce ton sans nuance, mêlant défense des animaux et stéréotypes sur les populations insulaires, pèse en arrière-plan lorsque sa fondation se tourne vers Maurice en octobre 2021. Dans une lettre adressée au Premier ministre Pravind Jugnauth, l'organisation demande l'arrêt immédiat de la politique dite de « catch and kill », qui consiste à capturer puis euthanasier systématiquement les chiens errants. Le texte reproche au gouvernement de ne pas tenir ses engagements en matière de stérilisation et réclame une révision de l'Animal Welfare Act de 2013, jugée insuffisamment appliquée.
Un retour polémique dans l'actualité mauricienne
Les médias mauriciens relaient largement cette interpellation, qui s'inscrit dans un débat public plus vaste sur la gestion des animaux errants. Plusieurs ONG locales et internationales dénoncent depuis des années la brutalité de certaines opérations d'abattage et plaident pour des campagnes massives de stérilisation plutôt que pour l'élimination systématique.
Ainsi, le nom Bardot, jadis associé à une parenthèse enchantée au château de Villebague, revient dans l'actualité mauricienne sous la forme d'une lettre de mise en demeure morale. Les défenseurs des animaux saluent cette prise de position, tandis que d'autres observateurs se méfient des outrances de la star devenue militante, dont les propos passés sur l'immigration et les populations ultramarines ont régulièrement franchi les limites de l'acceptable.
Un lien double et révélateur
En définitive, le lien entre Brigitte Bardot et l'île Maurice demeure double et paradoxal. D'un côté, il y a le souvenir lumineux d'un séjour orchestré par Gaëtan Duval, événement fondateur de la diplomatie touristique mauricienne, gravé dans quelques photographies devenues icônes d'un âge d'or fantasmé. De l'autre, il y a la plume intransigeante de la Fondation Bardot, qui fait entrer Maurice dans la cartographie mondiale des combats pour le bien-être animal, au prix parfois d'une mise en accusation sans ménagement des pratiques publiques.
Entre ces deux moments, séparés par un demi-siècle, c'est toute l'évolution du regard européen sur l'océan Indien qui se laisse deviner : de la starlette bronzée en villégiature à la conscience inquiète de la condition animale, Maurice apparaît tour à tour comme décor de carte postale, laboratoire du tourisme de luxe et scène d'un contentieux éthique global où le nom Bardot demeure, plus que jamais, un puissant révélateur.
Brigitte Bardot est décédée dimanche 28 décembre 2025 à l'âge de 91 ans dans sa résidence de La Madrague à Saint-Tropez.