Il est des textes qui ornent les murs des capitaineries sans jamais trouver d'écho dans la réalité du terrain. À Maurice, la réglementation encadrant l'observation de la faune marine appartient à cette catégorie des bonnes intentions jamais véritablement appliquées. Les dauphins à long bec, qui avaient fait de ces lagons leur refuge, continuent de payer un lourd tribut à leur popularité. Harcelés par des embarcations trop nombreuses, dérangés dans leurs phases de repos essentielles, ces mammifères marins voient leur comportement se modifier dangereusement, malgré un arsenal juridique théoriquement protecteur.
Car les règles existent. Le ministère de l'Économie bleue, en collaboration avec plusieurs organismes de protection environnementale, a depuis longtemps édicté une série de prescriptions aussi précises que contraignantes. L'observation des dauphins et des baleines ne devrait s'effectuer qu'entre six heures du matin et midi, période pendant laquelle ces animaux sont les plus actifs et les moins vulnérables. Mais qui contrôle réellement le respect de ces horaires ?
Le texte établit des distances minimales d'approche sans équivoque : cinquante mètres doivent obligatoirement séparer toute embarcation des dauphins, cent mètres dans le cas des baleines. Ces mesures répondent à une nécessité scientifiquement établie : permettre aux cétacés de conserver leurs comportements naturels sans stress induit par une présence humaine trop intrusive. Dans les faits, nombreux sont les opérateurs qui considèrent ces limites comme de simples recommandations, quand ils ne les ignorent pas purement et simplement. Et les garde-côtes, où sont-ils ? La question mérite d'être posée.

La réglementation interdit formellement toute tentative de nager avec les tortues marines et les baleines, pratique qui devrait avoir disparu depuis des années mais qui perdure dans une opacité complice. Seule une rencontre fortuite avec une tortue en mer est tolérée, à condition de maintenir une distance respectable de cinq mètres minimum. Combien de touristes ignorent-ils ces dispositions ? Combien d'opérateurs préfèrent-ils fermer les yeux pour satisfaire une clientèle en quête de sensations fortes et de clichés spectaculaires ? Cette disposition vise particulièrement à protéger les tortues vertes et imbriquées, espèces menacées qui fréquentent les herbiers marins mauriciens pour s'alimenter. Encore faudrait-il que quelqu'un veille à son application.
Le dispositif prohibe également toute forme de harcèlement, de nourrissage, de capture ou de commercialisation de ces espèces protégées. Des amendes substantielles assorties de peines d'emprisonnement sont prévues pour sanctionner les contrevenants. Sur le papier, la menace est dissuasive. Dans la réalité, combien de procès-verbaux ont été réellement dressés ? Combien d'amendes effectivement recouvrées ? Le silence des autorités sur ce point en dit long sur l'écart entre la volonté affichée et les moyens déployés.
Cette réglementation mauricienne, qui s'inscrivait dans un mouvement de régulation du tourisme d'observation de la faune marine observable dans l'ensemble de la région indo-pacifique, risque de demeurer un vœu pieux si chacun ne prend pas ses responsabilités. À l'heure où la biodiversité océanique subit les assauts conjugués du réchauffement climatique, de la pollution plastique et de la surpêche, l'île Maurice ne peut se contenter d'afficher de beaux principes. La protection stricte de ses espèces emblématiques exige bien davantage qu'une campagne de communication : elle requiert une véritable volonté politique, des moyens de contrôle effectifs et une prise de conscience collective.
Les autorités doivent assumer leur part de responsabilité. Édicter des règles sans les faire respecter revient à cautionner tacitement leur transgression. Les opérateurs touristiques, qui tirent leurs revenus de cette faune exceptionnelle, ont le devoir de la préserver plutôt que de l'épuiser. Quant aux visiteurs, leur ignorance ne saurait constituer une excuse : se renseigner avant d'embarquer devrait être un minimum de courtoisie envers un écosystème qui les accueille.
La vigilance des associations environnementales ne suffira pas. C'est un engagement ferme de tous les acteurs que réclame la situation. Car c'est bien l'avenir de ces créatures majestueuses, témoins vivants d'un océan encore préservé, qui se joue dans ces eaux mauriciennes. Le temps n'est plus aux rappels à l'ordre gentillets, mais à l'action résolue.
« Respectez les règles, protégez l'océan » : le slogan qui accompagne les campagnes de sensibilisation ne devrait plus rester un simple mot d'ordre. Il doit devenir une exigence opposable à tous, autorités comprises. Maurice se trouve à la croisée des chemins : celui de l'exploitation irresponsable ou celui d'un tourisme véritablement durable. Il est temps de choisir, et surtout d'agir en conséquence. Les dauphins, les baleines et les tortues n'ont que trop attendu.

Dernière heure / La Tourism Authority annonce de nouveaux règlements
Au moment où nous mettons sous presse, la Tourism Authority vient de publier un communiqué faisant état de vidéos récemment diffusées sur les réseaux sociaux montrant des activités illégales d'observation de dauphins et de baleines. L'organisme annonce l'ouverture d'une enquête et promet des sanctions contre les opérateurs impliqués. Plus révélateur encore, le communiqué indique qu'un comité au ministère du Tourisme travaille « actuellement à l'élaboration de nouveaux règlements encadrant les activités de Dolphin and Whale Watching », supervisé par un comité interministériel présidé par le vice-Premier ministre.
De nouveaux règlements ? Alors que ceux en vigueur ne demandaient qu'à être appliqués ? Cette annonce, loin de rassurer, confirme l'ampleur du problème. Elle révèle surtout que les autorités préfèrent légiférer à nouveau plutôt que de faire respecter les dispositions existantes. Une fuite en avant qui ne trompe personne et qui pose une question dérangeante : à quoi bon multiplier les textes si aucun n'est véritablement mis en œuvre ?
Les vidéos incriminées auront eu le mérite de forcer la main des pouvoirs publics. Reste à espérer que cette fois, l'engagement « indéfectible » réaffirmé pour « préserver la riche biodiversité marine de Maurice » ne restera pas, une fois de plus, lettre morte.