C'est sous un soleil de plomb que le groupe de skippers accoste sur les rives rocheuses de l'Île de la Passe. À première vue, ce modeste îlot perdu dans la lagune de Grand Port, au sud-est de l'Île Maurice, n'a rien d'extraordinaire. Pourtant, derrière son apparente austérité se cache un concentré d'histoire et de biodiversité que la Mauritian Wildlife Foundation (MWF) s'efforce de préserver et de faire connaître.
« Chaque caillou ici raconte une histoire », lance Benny Henry, assistant éducateur à la MWF et guide du jour, en désignant les vestiges de fortifications qui surplombent le littoral. Ces ruines témoignent de la célèbre bataille navale de Grand Port en 1810, l'une des rares victoires françaises sur la Royal Navy pendant les guerres napoléoniennes.
Une nature résiliente
Mais au-delà de son passé militaire, l'îlot révèle une étonnante capacité d'adaptation face aux conditions extrêmes. « Observez comment le veloutier vert s'accroche à ce sol rocailleux », poursuit le guide en montrant les épaisses feuilles du Scaevola taccada, parfaitement adaptées pour limiter l'évaporation dans cet environnement exposé aux vents et aux embruns.
Plus loin, quelques spécimens de baume de l'Île Plate (Psiadia arguta), arbuste endémique au port bas et ramifié, colonisent les anfractuosités de la roche. « C'est une plante qu'on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde », précise Benny Henry à son auditoire visiblement captivé.
La faune n'est pas en reste. Dans le ciel, un Paille-en-queue (Phaethon lepturus) déploie ses longues plumes caudales blanches, tandis que sur les rochers, des scinques de Bojer se prélassent au soleil, se confondant parfaitement avec la pierre grise. Ces petits lézards représentent un maillon essentiel de l'écosystème insulaire.
Sentinelles des mers
« Avant, je venais ici sans vraiment faire attention », confie Rakesh Seewoosurrun, skipper depuis quinze ans. « Maintenant, je comprends pourquoi il faut être vigilant quand on débarque des touristes. » Le programme « Anou Protez Nou Bann Zil » (Protégeons nos îles), lancé en 2017, vise précisément à transformer ces professionnels en véritables sentinelles.
Car ces îlots subissent des pressions croissantes : tourisme de masse, déchets plastiques, espèces invasives... « Les skippers sont en première ligne », explique un responsable de la MWF. « Ils peuvent soit contribuer à la dégradation, soit devenir nos meilleurs alliés dans la conservation. »
Depuis juillet 2019, le projet s'est étendu aux îlots du nord de Maurice, grâce au soutien du groupe MCB et d'autorités comme le National Heritage Fund et le National Parks and Conservation Service.
L'histoire comme alliée de la nature
La visite se poursuit entre les vestiges des bâtiments militaires. Canons rouillés et murs effondrés racontent le passé tumultueux de ce lieu stratégique. « La bataille de Grand Port a façonné l'histoire de Maurice, mais aujourd'hui, c'est une autre bataille qui se joue ici : celle de la préservation », souligne Benny Henry.
Les skippers découvrent comment ce patrimoine historique peut devenir un atout pour la conservation. En valorisant ces sites auprès des touristes, ils contribuent à leur protection tout en diversifiant leur offre commerciale.
À l'heure où le soleil commence à décliner sur la lagune, le groupe rembarque, visiblement transformé par cette expérience. « Ce n'est pas seulement un bout de rocher », conclut l'un d'eux en jetant un dernier regard à l'îlot. « C'est un trésor qu'on doit préserver pour nos enfants. »
Dans le sillage du bateau qui s'éloigne, l'Île de la Passe retrouve sa quiétude. Mais désormais, elle compte quelques gardiens de plus.