Novembre, à l'île Maurice, c'est d'abord une promesse suspendue entre deux saisons. Le printemps austral cède la place aux prémices de l'été tropical. Les températures oscillent entre 24 et 30 degrés Celsius, tandis que les alizés du sud-est faiblissent progressivement. La chaleur s'installe avec une langueur toute créole, annonçant les premières averses qui viendront rafraîchir une terre assoiffée. « L'océan Indien est un monde à part, écrivait Bernardin de Saint-Pierre, où la nature semble avoir voulu rassembler tous ses chefs-d'œuvre. » Cette observation du XVIIIe siècle garde toute sa pertinence en novembre, lorsque les flamboyants parent le paysage de leurs grappes écarlates et que les champs de cannes à sucre ondulent sous le vent tiède.
L'ambiance, en ce mois charnière, est empreinte d'une douceur mélancolique. Les Mauriciens, ce peuple arc-en-ciel comme on aime à les nommer, se préparent aux festivités de fin d'année tout en célébrant leurs racines plurielles. Le climat est idéal pour profiter des lagons cristallins de Trou-aux-Biches ou de Belle-Mare, où la mer, dont la température avoisine les 25 degrés, se fait complice des rêveries d'évasion. Port-Louis, la capitale, bruisse d'une effervescence particulière : les marchés regorgent de litchis précoces, de mangues encore vertes promises aux achards, et l'air embaume le jasmin et le vétyver.
Le 2 Novembre : Une date gravée dans la mémoire nationale
Le 2 novembre revêt une importance historique capitale pour l'île Maurice. Ce jour férié commémore l'arrivée, en 1834, des premiers travailleurs engagés indiens. Le navire Atlas, parti de Calcutta, accosta à Port-Louis après six semaines de traversée éprouvante, transportant trente-six laboureurs de la caste des Dhangar, originaires des collines du Bihar. Ces hommes débarquèrent à l'Aapravasi Ghat, site aujourd'hui classé au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 2006, et furent employés sur les domaines sucriers de Belle-Alliance et Antoinette, dans le district de Rivière-du-Rempart.
Cette immigration, qualifiée de « Grande Expérience » par le gouvernement britannique, visait à remplacer la main-d'œuvre servile après l'abolition de l'esclavage en 1835. Entre 1834 et 1920, près d'un demi-million de travailleurs engagés arrivèrent d'Inde, mais aussi d'Afrique de l'Est, de Madagascar, de Chine et d'Asie du Sud-Est. Leurs conditions de travail, bien que juridiquement différentes de l'esclavage, restaient difficiles : paiement irrégulier des salaires, logement rudimentaire, manque de soins médicaux et retenues sur salaire pour absence. Certains historiens n'hésitent pas à parler d'« esclavage volontaire ».
Chaque 2 novembre, une cérémonie de dépôt de gerbes se déroule à l'Aapravasi Ghat, en présence des autorités nationales et parfois de représentants du gouvernement indien. Ces descendants de travailleurs engagés représentent aujourd'hui près des deux tiers de la population mauricienne. « Nous sommes tous des Mauriciens avant d'être hindous, musulmans, créoles ou chinois », aimait à dire Sir Seewoosagur Ramgoolam, le père de l'indépendance proclamée le 12 mars 1968. Cette phrase résonne avec une acuité particulière en novembre, mois de la reconnaissance et de la gratitude envers ces ancêtres qui ont profondément transformé l'identité de l'île.
Une nature en éveil et des traditions préservées
Les jardins de Pamplemousses, ce joyau botanique créé au XVIIIe siècle, offrent en novembre un spectacle enchanteur. Les nénuphars géants s'épanouissent dans les bassins, tandis que les orchidées rares dévoilent leurs corolles délicates. C'est le moment idéal pour parcourir les sentiers ombragés du parc national des Gorges de la Rivière Noire, où le cerf de Java et le pigeon rose – cette espèce endémique sauvée de l'extinction in extremis – peuvent être observés dans leur habitat naturel. Novembre, période de début de floraison, transforme les jardins créoles en véritables tableaux impressionnistes.
Le climat de novembre, marqué par un ensoleillement généreux et quelques averses occasionnelles de courte durée, constitue une période favorable pour découvrir l'île. Les ségas, ces danses créoles héritées des esclaves africains, résonnent dans les villages côtiers, perpétuant un folklore inscrit au patrimoine immatériel de l'humanité. Les communautés se rassemblent également pour la Toussaint le 1er novembre, journée où les familles mauriciennes fleurissent les tombes de leurs défunts dans une atmosphère à la fois recueillie et conviviale.
Comme l'écrivait si justement Malcolm de Chazal, ce poète et philosophe mauricien : « Maurice est un rêve dans l'océan. » En novembre, ce rêve prend des teintes particulièrement chatoyantes, entre nostalgie du passé et espérance de l'avenir, entre ciel clément et mémoire vivante. L'île, dans sa sagesse tropicale, nous rappelle que novembre n'est pas seulement un mois de transition climatique, mais un moment de grâce où converge l'essentiel : la beauté de la nature, la richesse du patrimoine et la mémoire d'un peuple qui a fait de la diversité sa plus belle réussite.