Dans un monde globalisé où l'uniformisation menace les identités, le Chef Nizam Peeroo entreprend un acte de résistance gourmande. Ce « Dialogue entre l'Art et le Goût », qui se tient jusqu'au 7 juin 2025, fait écho à l'exposition consacrée à Malcolm de Chazal au Blue Penny Museum. Plus qu'une simple démonstration culinaire, cette célébration des saveurs créoles mauriciennes s'inscrit dans une démarche patrimoniale urgente.
« La cuisine créole mauricienne est un trésor vivant, fruit d'influences africaines, indiennes, européennes et asiatiques, témoignage d'une histoire complexe et fascinante », nous confie le Chef Peeroo. Chaque plat proposé devient ainsi porteur de mémoire collective : le calamari parfumé au curcuma et à la vanille rappelle les anciennes routes des épices, tandis que le pavé de sacréchien en croûte de brèdes mouroum convoque la subsistance ingénieuse des pêcheurs d'antan.
L'originalité de cette démarche réside dans son dialogue avec l'œuvre de Malcolm de Chazal (1902-1981), figure intellectuelle majeure de l'île, dont la sensibilité poétique a su capturer l'essence même de la mauricianité. Les assiettes deviennent ainsi le prolongement comestible d'une vision artistique où la nature luxuriante de l'île se fait poésie.
La section « Douceurs en guise d'apothéose » illustre parfaitement cette symbiose : l'île flottante « à la Malcolm », avec ses fruits cristallisés, évoque les paysages mentaux de l'artiste, tandis que la crème brûlée au fruit à pain caramélisée au sucre muscovado célèbre ce fruit emblématique des foyers mauriciens depuis 1796, gardien d'une mémoire sucrière coloniale transformée en délice contemporain.
Éclosia : laboratoire d'une gastronomie d'avenir
Ce festival s'inscrit également dans un projet plus vaste porté par Éclosia, nouveau laboratoire de gastronomie mauricienne, déterminé à préserver les savoir-faire en voie de disparition. Face aux défis de la mondialisation et des changements climatiques qui menacent des ingrédients endémiques, cette initiative apparaît comme un rempart culturel nécessaire.
En concluant notre dégustation par une fleur d'ananas, délicate création pâtissière qui rend hommage à Malcolm de Chazal, on ne peut s'empêcher de méditer sur ces mots du poète lui-même, inscrits sur le menu : « Nous en sommes venus ainsi au patriotisme des goûts. Heureusement à Maurice, tout le monde aime les gâteaux pimentés ! » Une phrase qui résume l'essence même de cette île-carrefour, où la diversité des origines s'est transformée en une identité culinaire unique qu'il nous appartient désormais de préserver comme un patrimoine immatériel universel.
Le festival « Dialogue entre l'Art et le Goût » se tient au Labourdonnais Waterfront Hotel jusqu'au 7 juin 2025.
Entrées (les prémices...)
1.Chiquetaille de poisson cordonnier, piment kari frit (Rs 450) - Une préparation de poisson frais local (cordonnier) relevée de piment vert frit, accompagnée de citron confit et jeunes pousses de lentilles. Ce plat traditionnel évoque la mémoire collective de l'île autour des produits de la mer.
2.Rouette de cœur de palmiste, mousseline d'épices créoles (Rs 1,500) - Le cœur de palmiste (surnommé "le bain" à Maurice), incontournable de la gastronomie mauricienne traditionnellement réservé aux grandes occasions, préparé en rouette et associé à une mousseline parfumée aux épices créoles, relevée de crevettes de rivière.
3. Rasson de crabe carrelet parfumé au tamarin et feuilles de karipoule (Rs 650) - Une préparation de crabe local parfumée au tamarin et feuilles de curry, accompagnée de beignets croustillants de fruit à pain. Ce plat évoque les mangroves aux eaux colorées de l'île et célèbre le dialogue entre terre et mer.
4. Achards de cabri des coteaux de Rivière Noire (Rs 550) - Viande prisée de la culture hindoue, le cabri (chèvre) est ici préparé en achards, un condiment métissé des traditions indiennes, asiatiques et créoles. Servi sur une tranche de pain maison grillé et une salade d'amarante (brèdes malbar).
5. Salade de croquant de pois jaune pimenté (Rs 450) - Une entrée végétarienne présentant des pois jaunes croquants et épicés, servis avec une julienne de papaye verte légèrement parfumée au combava. Ce plat évoque le "gâteau piment" (beignet épicé) emblématique des traditions familiales.
Ces entrées reflètent parfaitement l'esprit du menu: valorisation des produits locaux, techniques traditionnelles revisitées avec créativité, et hommage aux influences multiculturelles qui façonnent la cuisine mauricienne. Chaque plat raconte une histoire liée au terroir et aux traditions, tout en établissant un dialogue avec l'œuvre et la sensibilité de Malcolm de Chazal, qui percevait la nature comme poésie et les aliments comme expression culturelle.
Plats principaux (Plats de résistance)
Daube de calamar, curcuma, vanille, julienne de gingembre - Un ragoût tendre de calamar infusé d'épices créoles comme le curcuma et la vanille, accompagné de pain maison grillé au feu de bois. Ce plat évoque l'héritage des niches françaises tout en célébrant les épices de l'océan Indien.
Pavé de sacréchien, croûte d'étouffée de brèdes mouroum - Un filet de sacréchien (poisson noble des lagons mauriciens) en croûte de feuilles de moringa, servi avec des frites de manioc et une sauce rougaille. Ce plat illustre parfaitement le métissage des techniques culinaires européennes et des ingrédients locaux.
Cari de volaille et camaron d'antan revisité - Une réinterprétation du curry traditionnel de poulet et crevettes, accompagné de riz blanc, de dhal puri et de condiments. Ce plat emblématique témoigne de l'héritage indo-créole.
Longe d'agneau cuite à basse température - De l'agneau lentement cuit et parfumé aux épices créoles, servi avec un ragoût d'embrevades (pois d'Angole), un plat qui représente la fusion des influences indiennes, africaines et européennes.
Dry cari de canard, papaye verte - Un curry sec de canard relevé par la papaye verte, accompagné d'un riz aux pistaches grillées et oignons frits, reflétant les techniques de cuisson lentes et les combinaisons de saveurs caractéristiques de la cuisine mauricienne.
Croustillant de brèdes songe et besan - Un rouleau de feuilles de taro croustillantes et farine de pois chiches, accompagné d'une sauce tamarin et curcuma. Une option végétarienne qui célèbre les légumes-feuilles traditionnels mauriciens.
Desserts (Douceurs en guise d'apothéose)
Crème brûlée au fruit à pain - Un dessert qui transforme le fruit à pain, pilier des foyers mauriciens depuis 1796, en délicate crème brûlée caramélisée au sucre muscovado (sucre non raffiné riche en mélasse).
Déclinaison de l'ananas Victoria - Une variation autour de l'ananas Victoria (rôti, mousse, caramélisé), petit trésor des jardins familiaux mauriciens, présentée comme un hommage à la fraîcheur solaire et à l'imaginaire vibrant de Malcolm de Chazal.
Samoussa à la papaye verte - Une revisitation créative du samoussa traditionnel, garni de papaye verte cristallisée et servi avec une sauce tamarin et vanille, incarnant parfaitement l'héritage indo-créole.
Île flottante à la Malcolm - Une meringue flottant sur une crème à la vanille caramélisée, accompagnée de cubes de fruits cristallisés et chips de coco, rendant hommage à l'île-mère et évoquant la poésie de Malcolm de Chazal.
Fleur d'ananas - Un dessert-poème en hommage à Malcolm de Chazal, présentant un biscuit moelleux à la vanille au cœur d'ananas acidulé au citron vert, sous un glaçage miroir nervuré et un feuillage en chocolat blanc.
Ces créations culinaires ne sont pas seulement des plats à déguster, mais de véritables œuvres d'art qui racontent l'histoire d'un peuple, de sa terre et de ses savoir-faire. Chaque ingrédient, issu de producteurs locaux, est sublimé dans des plats qui dialoguent avec l'œuvre poétique de Malcolm de Chazal, créant ainsi une expérience sensorielle unique qui célèbre et préserve le riche patrimoine culinaire mauricien.