Dans le crépuscule mauricien, une silhouette majestueuse fend le ciel. La roussette de Maurice, ou Pteropus niger de son nom scientifique, entame son ballet nocturne à travers les lambeaux de forêts qui subsistent sur l'île. Plus grand mammifère endémique de Maurice, ce chiroptère au pelage roux-doré incarne à lui seul un pan entier de l'histoire naturelle des Mascareignes.
Unique survivante de trois espèces de roussettes qui peuplaient autrefois l'archipel, Pteropus niger porte sur ses ailes membraneuses le poids d'une responsabilité écologique considérable. Alors que la petite roussette mauricienne (Pteropus subniger) s'est éteinte et que la roussette de Rodrigues (Pteropus rodricensis) ne survit plus que sur l'île éponyme, cette espèce frugivore demeure l'ultime gardienne d'un équilibre millénaire.
« Les chauves-souris sont les seuls mammifères à avoir naturellement colonisé Maurice », rappellent les biologistes. Cette particularité confère à la roussette mauricienne un statut de véritable architecte des forêts insulaires. Chaque nuit, ces animaux peuvent parcourir jusqu'à 24 kilomètres pour se nourrir de fruits, de nectar et occasionnellement de feuilles, assurant ainsi la pollinisation de dizaines d'espèces végétales et la dispersion de leurs graines sur de longues distances.
Les recherches scientifiques ont démontré que Pteropus niger consomme une vingtaine d'espèces végétales, dont 18 % sont natives de Maurice. Parmi ces espèces indigènes, plus d'un tiers sont considérées comme vulnérables ou rares. Les graines, évacuées en vol dans les fèces des roussettes, bénéficient d'une dissémination optimale à travers les fragments forestiers épars. Cette fonction écologique s'avère d'autant plus cruciale que moins de 2 % de la végétation originelle de l'île subsiste aujourd'hui.
Maillon essentiel
Dans les parcs nationaux des Gorges de la Rivière Noire, de Combo et de Bel Ombre, où se concentrent les principales colonies, ces mammifères volants perpétuent un rituel ancestral. Grégaires, ils se regroupent le jour en « camps » perchés dans les arbres les plus hauts, à l'abri du soleil. Contrairement aux petites chauves-souris insectivores, les roussettes ne possèdent pas d'écholocation et se fient à leur vue et leur odorat développés pour localiser leur nourriture.
Pourtant, ce maillon essentiel de la biodiversité mauricienne traverse une période critique. L'espèce, qui comptait environ 20 000 individus en 2006, a subi une réduction drastique de plus de 50 % depuis 2015 suite à des campagnes d'abattage controversées, motivées par les plaintes des producteurs de fruits. En 2015 et 2016, près de 38 000 roussettes ont été éliminées, conduisant l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) à reclasser l'espèce comme « en danger » sur sa Liste rouge.
Cette politique d'abattage a suscité l'indignation des scientifiques et des organisations de conservation internationales. Des études récentes ont démontré que les dégâts aux vergers sont principalement causés par les rats, les oiseaux invasifs et les intempéries, les roussettes n'étant responsables que d'une fraction mineure des pertes. Plus probant encore, les recherches ont établi que la pose de filets de protection appropriés peut réduire jusqu'à 23 fois les dommages causés par les chauves-souris, rendant leur élimination non seulement inefficace mais écologiquement délétère.
La roussette de Maurice demeure par ailleurs vulnérable aux cyclones, qui peuvent décimer ses populations. Sa lente capacité de reproduction – sans doute un jeune par an – rend toute reprise démographique particulièrement laborieuse. Face à ces menaces, l'espèce bénéficie théoriquement d'une protection légale depuis 1993 et figure à l'annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces menacées (CITES).
À l'heure où l'île Maurice célèbre la Semaine internationale des chauves-souris (Bat Week) , la situation de Pteropus niger rappelle avec acuité l'interdépendance entre conservation de la faune et préservation des écosystèmes. Sans ces mammifères volants, point de régénération forestière. Sans forêts, point de biodiversité. Un cercle vertueux dont la roussette dorée demeure, envers et contre tout, le discret gardien.
Références
Nyhagen, D. F., Turnbull, S. D., Olesen, J. M., Jones, C. G., et al. (2005). « An investigation into the role of the Mauritian flying fox, Pteropus niger, in forest regeneration », Biological Conservation, 122 (3), pp. 491-497.
Carroll, J. B., Feistner, A. T. C. (1996). « Conservation of Western Indian Ocean Fruit Bats », Biogéographie de Madagascar, pp. 329-335.
Florens, F. B. V. (2012). « Going to Bat for an Endangered Species », Science, 336 (6085), p. 1102.
Tatayah, V., Malham, J., Haverson, P. J., et al. (2019). « The impact of the Endangered Mauritian flying fox Pteropus niger on commercial fruit farms and the efficacy of mitigation », Oryx, Cambridge University Press.
Jones, C. G., Malham, J., Reuleaux, A., Dumont, Y., et al. (2019). « The movement ecology of the Mauritian flying fox (Pteropus niger): a long-term study using solar-powered GSM/GPS tags », Movement Ecology, 7(13).
ERA Indian Ocean (2021). « Mauritius Fruit Bat Project », rapport de conservation, Port-Louis, Maurice.
IUCN Red List of Threatened Species. Pteropus niger. Consulté le 6 novembre 2025.
Protected Endemic Sanctuaries, Government of Mauritius. « Mauritius Fruit Bat – Pteropus niger », fiche espèce, National Parks and Conservation Service.