Au cœur de l'archipel des Mascareignes, à quelque 580 kilomètres au nord-est de l'île Maurice, la Réserve François Leguat s'apprête à célébrer un anniversaire particulièrement symbolique. Dix-huit années se sont écoulées depuis l'ouverture de ce sanctuaire naturel qui a su redonner vie à un écosystème que l'on croyait à jamais perdu.
Baptisée en l'honneur de l'explorateur français François Leguat, ce réfugié huguenot qui débarqua sur l'île alors déserte en 1691, la réserve incarne aujourd'hui la renaissance d'un paradis que l'histoire avait failli engloutir. Dans ses écrits, Leguat décrivait une île où « l'on peut faire plus d'une centaine de pas sur les carapaces des tortues sans toucher le sol ». Un témoignage poignant d'une époque révolue, quand Rodrigues abritait des centaines de milliers de tortues géantes endémiques.
L'aventure contemporaine de la réserve débute en 2006 et 2007, lorsque François Leguat Ltd entreprend la réintroduction de « espèces analogues » — les plus proches cousines vivantes des tortues disparues de Rodrigues. Un pari audacieux qui allait transformer cette vallée calcaire de 20 hectares en véritable laboratoire de la renaissance écologique.
Une arche de Noé moderne
Aujourd'hui, plus de 2 500 tortues géantes évoluent en semi-liberté dans cette vallée préservée. Trois espèces cohabitent harmonieusement : la tortue géante d'Aldabra (Aldabrachelys gigantea), la tortue étoilée de Madagascar (Astrochelys radiata) et la rarissime tortue angonoka (Astrochelys yniphora), cette dernière étant l'une des espèces les plus menacées au monde.
Au-delà de ce succès reproducteur spectaculaire, la réserve mène un combat tout aussi crucial pour la flore indigène. Un ambitieux programme de reboisement a permis la plantation de plus de 260 000 spécimens appartenant à 40 espèces végétales endémiques. Vacoas de Rodrigues, bois blanc, gournable : autant d'essences qui retrouvent progressivement leur territoire ancestral.
« La réserve est un excellent modèle de ce qui peut être réalisé dans le domaine de la restauration et du re-développement des écosystèmes », soulignent les responsables du projet, rappelant qu'à peine un demi pour cent de la forêt originelle avait survécu aux siècles de colonisation.
La situation géographique de la réserve, sur la péninsule d'Anse Quitor, au sud-ouest de Rodrigues, révèle un autre de ses trésors : un paysage karstique unique abritant neuf grottes calcaires impressionnantes. La Grande Caverne, longue de 500 mètres et équipée selon les standards internationaux, constitue la seule « grotte d'exposition » électrifiée du sud-ouest de l'océan Indien.
Cette cathédrale souterraine, avec ses stalactites et stalagmites millénaires, offre aux visiteurs un voyage dans les entrailles de la Terre, complétant admirablement la renaissance de surface orchestrée par les équipes de la réserve.
Un modèle d'éducation environnementale
Au-delà de ses missions de conservation, la Réserve François Leguat s'impose comme un formidable outil pédagogique. Son musée, unique sur l'île, retrace l'histoire naturelle et humaine de Rodrigues à travers quatre galeries thématiques. Chaque année, des centaines d'écoliers mauriciens et internationaux y découvrent les enjeux de la préservation environnementale.
Cette dimension éducative s'inscrit dans une philosophie plus large : « La conservation de l'environnement naturel est notre affaire et cette bataille ne peut être gagnée que si tout le monde est impliqué », affirment les gestionnaires du site.
Aurèle André, l'âme de la Réserve François Leguat, en compagnie de l'actrice Myriam Charlein, marraine de la dernière édition du Rodrigues Kitesurf Festival (Photo : Joey Niclès Modeste)
Si le bilan de ces dix-huit années force l'admiration, les défis demeurent considérables. Le réchauffement climatique, les espèces invasives et la pression démographique constituent autant de menaces qu'il convient de surveiller avec vigilance.
Néanmoins, l'exemple de la Réserve François Leguat démontre qu'avec de la volonté, des moyens et une vision à long terme, il est possible de ressusciter des écosystèmes que l'on croyait condamnés. Un message d'espoir particulièrement précieux à l'heure où la biodiversité mondiale traverse sa sixième extinction de masse.
En célébrant ses dix-huit ans, cette réserve mauricienne nous rappelle que la nature, même malmenée, conserve une extraordinaire capacité de résilience. Il suffit parfois de lui tendre la main pour qu'elle retrouve sa splendeur d'antan.