Armand Maudave n'y allait pas par quatre chemins. Ancien pilier du Tourism Board et président de la Mauritius Tourism Promotion Authority pendant quatre ans, cet observateur privilégié pointait d'emblée le talon d'Achille de la destination : un budget promotionnel rachitique, tout juste porté à 300 millions de roupies, insuffisant pour hisser l'île Maurice au rang des destinations haut de gamme auxquelles elle prétendait.
Derrière cette parcimonie budgétaire, l'expert décelait une incompréhension fondamentale au sein même de l'appareil d'État. Certains hauts fonctionnaires persistaient à croire que les investissements privés des hôteliers en matière de promotion suffisaient, rendant superflue l'intervention publique. Une vision que Maudave jugeait non seulement erronée mais dangereuse, appelant à faire davantage confiance aux techniciens du métier.
Sur la question épineuse du positionnement haut de gamme, son diagnostic se voulait pragmatique. Sur la centaine d'hôtels en opération, à peine une vingtaine méritaient véritablement leurs cinq étoiles. Quant aux quelque 700 000 touristes annuels, seuls 20 000 appartenaient réellement au gratin des grosses fortunes. La réalité, selon lui, était celle d'un tourisme de bonne moyenne gamme, ce qui n'avait rien de déshonorant à condition de maintenir des standards de qualité irréprochables dans la formation, l'accueil et la gastronomie.
Cette diversité de l'offre hôtelière présentait d'ailleurs des vertus que Maudave défendait avec conviction : elle permettait une diversification sociale et économique des visiteurs tout en offrant au petit investisseur mauricien sa part du gâteau. Mais l'expert ne perdait pas de vue le revers de la médaille : les villes, les routes, la salubrité publique demeuraient loin, très loin, des standards haut de gamme, créant une dichotomie préjudiciable à l'image du pays.
Loin de mépriser le tourisme informel, Maudave y voyait une opportunité pour le Mauricien moyen. Plus de 200 000 touristes résidaient déjà dans des villas privées ou chez l'habitant, une tendance qu'il fallait encourager sans trop de tracasseries administratives ni de pesanteur fiscale, l'État devant se contenter des taxes indirectes.
L'objectif de deux millions de touristes pour 2015 lui paraissait atteignable, mais il sonnait l'alarme : sans infrastructures adéquates, l'impact environnemental et social serait désastreux. Les Assises du Tourisme de 1986-87 avaient suggéré un seuil confortable de 400 000 arrivées, désormais doublé. Pour Maudave, cet équilibre entre infrastructures et arrivées devait rester sacro-saint, rappelant qu'il valait mieux accueillir cent touristes dépensant 20 000 roupies par jour que mille n'en dépensant que 2 000.
Fort de son expérience avec le Festival de la Mer, dont il rappelait les effets spectaculaires sur la fréquentation touristique entre 1987 et 1989, Maudave plaidait pour un retour de l'événementiel. Cannes, Venise, Rio : partout où des festivals étaient organisés avec régularité, ils contribuaient à situer le pays et à maintenir l'intérêt. La MTPA, désormais mieux dotée financièrement, n'avait qu'à ressortir les nombreux dossiers dormant dans ses tiroirs.
Sur le front aérien, ses positions étaient tranchées. Il fallait n'ouvrir le ciel qu'aux compagnies capables de puiser directement dans le vivier européen traditionnel, principal marché de l'île. Le détour par un certain hub aux visées hégémoniques n'avait pas donné les résultats escomptés. Quant aux marchés émergents asiatiques, Chine et Inde, Maudave jugeait prématuré de s'y précipiter, préférant concentrer les efforts sur les marchés traditionnels à fort pouvoir d'achat et des régions européennes encore inexploitées comme la Scandinavie ou l'Europe centrale.
L'homme d'expérience se montrait également préoccupé par l'instabilité politique. Il déplorait cette manie des nouveaux gouvernements de remettre systématiquement en question les orientations du précédent, particulièrement néfaste dans un secteur aussi sophistiqué où l'intelligence d'un ministre ne saurait supplanter l'expérience des techniciens.
Concernant Rodrigues, sa vision privilégiait de petits établissements préservant l'authenticité, à rebours des superstructures dictées par des logiques d'économie d'échelle. Il pointait au passage les sureffectifs dans certains hôtels où un quart à un tiers du personnel ne faisait que de la figuration.
Enfin, tout en saluant l'idée de nouvelles Assises du Tourisme, Maudave se montrait réaliste quant à leurs retombées. Certes, ces grand-messes permettaient aux professionnels de se rencontrer et d'échanger, mais les problèmes et leurs solutions étaient connus des techniciens depuis des décennies. Tel le Forum de Davos qui n'a jamais résolu les grands conflits, ce Davos du tourisme mauricien aurait son éclat mais un résultat similaire : redonner la conviction qu'un paradis existe quelque part et qu'on y a sa place.
Une analyse visionnaire qui, près de vingt ans plus tard, garde toute sa pertinence.
Secrétaire Permanent du ministère du Tourisme à l’époque où le maroquin ministériel était occupé par celui qui est considéré comme étant le père du tourisme mauricien, sir Gaëtan Duval, Armand Maudave, qui fait aujourd’hui partie du groupe Food and Allies Industries Ltd- qui englobe entre autres Indigo Hotel Management Company-, reste un fin observateur de la vie touristique. Il porte aujourd’hui un regard à chaud, lucide et clinique sur cette industrie qu’il a contribué à faire décoller - à travers des législations cohérentes mais aussi à travers des événentiels de qualité, le « Festival de la Mer », par exemple. Armand Maudave, qui a eu une longue carrière de diplomate, a aussi été membre du Tourism Board et président de la MTPA pendant quatre ans.
1. Visibilité
Imagination, vision, motivation ne manquent pas. Déficit plutôt de moyens financiers et de ressources humaines.,La MTPA en a pâti depuis sa création.
Passé récemment à environ Rs 300 millions, son budget est plus réaliste mais ne suffira toujours pas pour atteindre pleinement les objectifs d’une véritable destination « haut de gamme ».
2. Incompréhension et confiance
Les allocations maigrichonnes émanaient d’une incompréhension de la nécessité de promouvoir la destination (responsabilité du secteur public) en complément de la promotion des hôtels (souci du secteur privé).
Certains officiels, et non des moindres, maintiennent toujours en privé la thèse que le pays bénéficie indirectement des investissements des hôteliers dans la promotion ; donc il n’est pas nécessaire que l’état intervienne. Il serait souhaitable que cet état d’esprit disparaisse et que plus de confiance soit accordée aux techniciens du métier qui, depuis des années, réclament un budget cohérent. Rs 300 millions = un pas dans la bonne direction. Il en faut d’autres.
3. Haut de gamme
Relativisons. Une centaine d’hôtels en opération mais combien de vraies 5 étoiles ? À peine une vingtaine. Le reste ? Un certain nombre de bons 4 étoiles et beaucoup de 3 et 2 étoiles. Quelque 700,000 touristes nous visitent. Combien appartiennent au gratin des grosses fortunes ? Au pif à peine 20,000. Notre tourisme est donc d’une bonne moyenne gamme et ce n’est pas si mal. Il faut le maintenir ainsi.
L’éventail des possibilités d’accueil a des avantages :
- diversification sociale, économique, culturelle, intellectuelle des visiteurs ;
- diversification des prestations offertes ;
- et surtout possibilité pour le petit investisseur mauricien d’y trouver aussi sa part de gâteau.
Impérativement maintenir toutefois, aussi haut que possible, la qualité de la formation, des services, de l’accueil, de la gastronomie, de l’environnement etc.
Un hôtel 2 étoiles décoré avec goût peut avoir beaucoup de charme.
Les villes, les routes, la salubrité, le trafic, les sites historiques sont loin, très loin d’être « haut de gamme ». Cette dichotomie dessert notre image. Il faut patiemment y remédier.
4. L’informel
Ne pas s’en méfier ou le mépriser mais l’encourager, toujours dans l’optique que le Mauricien moyen doit y trouver son compte. Plus de 200,000 touristes résident dans les villas privées ou chez l’habitant. C’est une excellente chose – à condition d’établir des normes à observer et sans qu’il y ait trop de tracasseries de l’état et de pesanteur fiscale. C’est par le biais des taxes indirectes que l’état sera gagnant.
5. 2 millions en 2015 ?
Pas impossible. Cela fait théoriquement environ 55,000 présences sur le territoire par jour, pondérées évidemment par les fortes fluctuations saisonnières. ;Danger : Sans des infrastructures adéquates, l’impact sur l’environnement physique et social sera désastreux.
Les Assises du Tourisme en 86 ou 87 tinrent compte des infrastructures existant à l’époque et suggérèrent un seuil confortable de 400,000 arrivées. Celles d’aujourd’hui permettent l’accueil du double. Cet équilibre entre les infrastructures et les arrivées doit être toujours maintenu.
Par ailleurs, se souvenir toujours que qualité est plus importante que quantité. Il vaut mieux accueillir 100 touristes dépensant en moyenne Rs 20,000 par jour (voyage et séjour compris) que 1,000 ne dépensant que Rs 2,000. Bien que le bilan financier soit le même, l’impact à divers niveaux est totalement différent. Il n’y a pas dans la vie que le tiroir – caisse…
6. L’événementiel
1985 148,600 + 6.6%
1986 165,310 + 11.1%
1987 207,570 + 25.6% Festival de la Mer
1988 239,300 + 15.3 % Retombées du Festival
1989 262,790 + 9.8%
Conclusion : L’événementiel rapporte. Partout où il est organisé avec régularité l’événement situe le pays ou la ville et contribue à maintenir l’intérêt : Cannes (cinéma), Venise (festival), Deauville (film américain), Avoriaz (film fantastique), St Malo (Route du Rhum), Québec (Grands Voiliers), Rio (festival), Adélaïde (musique et théâtre) et j’en passe. Organiser un festival et le maintenir dans la durée ne devraient pas être au-dessus des possibilités de notre imagination. La MTPA n’a que se référer aux multiples dossiers qui dorment dans ses tiroirs maintenant qu’elle a quelques moyens d’action.
7. Permanence de l’état
Selon le proverbe « sans durée on ne construit rien ». N’est-il pas tant que cesse cette manie de tout nouveau gouvernement de remettre en question ce qu’à fait le précédent ? Surtout quand cela concerne un développement sophistiqué où l’intelligence d’un ministre est très largement dépassée par l’expérience et la connaissance des techniciens.
8. Accessibilité
N’ouvrir notre ciel qu’aux compagnies aériennes capables de puiser directement dans le vivier traditionnel – les pays d’Europe qui ont été, sont et seront encore pour bien des années nos principaux partenaires.
Le détour par un certain « hub » qui n’a pas les mêmes intérêts que notre compagnie nationale, et dont les visées sont hégémoniques, n’a pas donné les résultats attendus. Fausse note politique dans le concert aérien
9. Marchés émergeants
Des régions entières en Europe où le pouvoir d’achat progresse demeurent inexploitées : Scandinavie, Europe Centrale, péninsule ibérique, Irlande. Chine et Inde ? À réserver pour plus tard. S’y précipiter aujourd’hui est prématuré. Un retour rémunérateur sur l’investissement promotionnel est plus assuré sur nos marchés traditionnels à gros pouvoir d’achat.
Nos caisses doivent se remplir maintenant et le plus rapidement possible – pas demain et hypothétiquement !
10. Rodrigues
Privilégier de petits établissements, des villas, associer l’habitant, préserver l’authenticité. Eviter les superstructures qui seraient construites ainsi par souci d’économie d’échelle. Équilibrer surtout le dosage des ressources humaines. Dans certains établissements 25 à 30 % du personnel ne fait que de la figuration…
11. Assises du Tourisme
Bonne idée. Elle permettra comme en 86 ou 87 aux professionnels de se rencontrer, de mieux se connaître, d’échanger des points de vue, de peaufiner une programmation. Une telle dialectique est toujours enrichissante.
En sortira-t-il des idées novatrices ? Pas sûr. Problèmes et solutions sont connus des techniciens depuis des décennies et régulièrement analysées dans les revues spécialisées.
En Suisse le World Economic Forum permet d’intéressantes concertations sur les défis du moment mais n’a jamais résolu les grands conflits. Notre Davos du tourisme aura le même éclat – à notre échelle – et le même résultat. Il est toujours salutaire de participer à une grand-messe de temps à autre. On y puise la conviction que quelque part un paradis existe et qu’on y a sa place.
Armand Maudave
6 février 2006