Dans le grand échiquier du tourisme africain, une nouvelle alliance se dessine. Maurice et l'Ouganda, que tout pourrait a priori séparer — l'une insulaire et tournée vers le luxe balnéaire, l'autre continentale et réputée pour ses parcs nationaux —, ont choisi de conjuguer leurs forces. Un rapprochement qui n'est pas le fruit du hasard, mais d'une stratégie commerciale mûrement réfléchie, orchestrée par l'ambassade ougandaise dans le cadre de son programme de diplomatie économique.
Des atouts complémentaires
L'équation paraît séduisante sur le papier : d'un côté, les plages immaculées et les établissements cinq étoiles mauriciens ; de l'autre, les gorilles de montagne de la forêt impénétrable de Bwindi, les chutes Murchison et les chimpanzés de Kibale. Autant dire que l'offre combinée s'adresse à une clientèle aisée, avide d'expériences authentiques et prête à mêler farniente tropical et aventure naturaliste.
Les organisateurs du « roadshow » l'ont bien compris : il ne s'agit plus de se faire concurrence, mais d'inventer un parcours touristique intégré. Les tour-opérateurs mauriciens pourraient ainsi proposer des forfaits associant une semaine de détente sous les cocotiers à une escapade de quelques jours dans la savane ougandaise. Une formule qui répond aux attentes d'une clientèle internationale en quête de diversité.
La question cruciale de la connectivité aérienne
Reste néanmoins un obstacle de taille : l'absence de liaisons directes entre les deux pays. Les discussions ont d'ailleurs largement porté sur cette question épineuse de la connectivité aérienne, condition sine qua non du succès de l'entreprise. Le modèle kényan, avec Nairobi servant de hub régional, a été évoqué comme source d'inspiration. Car on le sait, dans l'industrie touristique, la facilité d'accès demeure un facteur déterminant dans le choix des voyageurs.
Les autorités des deux nations n'ignorent pas que la multiplication des escales rebute une clientèle haut de gamme habituée au confort et à la rapidité. D'où l'urgence d'établir des routes aériennes plus directes, quitte à solliciter les compagnies régionales pour assurer ces liaisons stratégiques.
Un modèle de tourisme durable
Au-delà des considérations purement commerciales, le partenariat affiche une ambition environnementale. Maurice comme l'Ouganda revendiquent leur engagement en faveur d'un tourisme responsable. L'île de l'océan Indien, dont les écosystèmes marins constituent un joyau fragile, et le pays d'Afrique de l'Est, gardien de trésors de biodiversité menacés, partagent la même préoccupation : concilier développement économique et préservation des ressources naturelles.
L'éco-tourisme, pratiqué notamment dans les parcs nationaux ougandais, s'inscrit dans cette démarche de conservation. Les revenus générés par les safaris et le tourisme de vision — notamment l'observation des gorilles — contribuent directement à la protection des espèces et au développement des communautés locales. Un modèle vertueux que Maurice entend également renforcer dans le secteur maritime.
Une dimension culturelle assumée
Le « roadshow » n'a pas omis la dimension culturelle de ce rapprochement. Au-delà des paysages et de la faune, c'est aussi un échange civilisationnel qui s'amorce. L'Ouganda, riche de ses traditions musicales et artisanales, et Maurice, creuset multiculturel façonné par les influences indienne, africaine, européenne et chinoise, offrent aux visiteurs une immersion dans des univers contrastés.
Cette diplomatie touristique, si elle porte ses fruits, pourrait ouvrir la voie à d'autres collaborations régionales. Car l'Afrique, longtemps perçue comme une mosaïque de destinations isolées, commence à penser son offre de manière plus intégrée, à l'image de ce que pratiquent depuis longtemps les pays européens ou asiatiques.
Des retombées économiques attendues
Les enjeux économiques sont considérables. Pour l'Ouganda, diversifier ses sources de devises au-delà des exportations agricoles ; pour Maurice, élargir son portefeuille de clientèle et s'affranchir de sa dépendance aux marchés européens traditionnels. Les investisseurs présents lors de ces deux journées n'ont d'ailleurs pas manqué de relever les opportunités en matière d'infrastructures hôtelières et de services touristiques.
Reste désormais à transformer l'essai. Les belles déclarations d'intention devront se concrétiser par des accords commerciaux tangibles, des campagnes de communication coordonnées et, surtout, cette fameuse liaison aérienne qui conditionne le succès de l'opération. Le tourisme africain entre dans une nouvelle ère, celle de la coopération Sud-Sud. Maurice et l'Ouganda en sont les pionniers, avec l'espoir de tracer un sillon que d'autres suivront.