Des explorateurs aux ambitions géopolitiques
Lorsque les Français s'emparent de l'île en 1715, la rebaptisant Isle de France, personne n'y vient encore pour se prélasser. L'époque est aux grandes explorations, aux enjeux stratégiques et commerciaux. Parmi les figures fondatrices de cette présence française, Mahé de La Bourdonnais occupe une place prépondérante.
Nommé gouverneur de l'Isle de France et de l'Isle Bourbon (La Réunion) en 1735, Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais transforme radicalement ce territoire encore balbutiant. Sous son administration visionnaire, Port-Louis devient une cité moderne et un port de premier ordre dans l'océan Indien. Il y établit des chantiers navals, développe l'agriculture, crée des infrastructures et fortifie l'île. Son nom reste aujourd'hui gravé dans la toponymie mauricienne, témoignage de son impact durable sur le développement de l'île.
Dans son sillage, un autre personnage d'exception marque l'histoire de l'Isle de France : Pierre Poivre. Botaniste, missionnaire et administrateur, cet homme aux multiples talents est nommé intendant des îles en 1767. Il rompt le monopole hollandais sur les épices en introduisant clandestinement des plants de muscadiers et de girofliers à l'Isle de France. Sa création du jardin de Pamplemousses, aujourd'hui jardin botanique Sir Seewoosagur Ramgoolam, constitue un héritage majeur. Ce jardin d'acclimatation, l'un des plus anciens de l'hémisphère sud, témoigne encore de sa vision scientifique et économique.
Les premiers visiteurs français notables sont des hommes de science et des marins.
L'explorateur Louis-Antoine de Bougainville y fait une halte en 1769, accompagné du botaniste Philibert Commerson. Ce dernier, séduit par les richesses naturelles de l'île, décide d'y rester jusqu'à sa mort.
À ses côtés se trouve une figure exceptionnelle de l'histoire maritime : Jeanne Barret. Cette Bourguignonne audacieuse, déguisée en homme sous le nom de Jean Baret, s'était embarquée comme valet de Commerson sur l'expédition de Bougainville. Premier cas documenté d'une femme à avoir fait le tour du monde, Jeanne Barret défie les conventions de son époque en participant à cette expédition scientifique majeure. C'est à l'Isle de France que son secret est finalement dévoilé. Malgré cette révélation, elle y reste et épouse un officier français de la garnison, Jean Dubernat, avant de retourner en France. Son parcours exceptionnel illustre l'attrait qu'exerçait déjà l'île sur les aventuriers français, hommes comme femmes. Leur séjour mauricien marque le début d'une longue tradition d'enchantement français pour ce territoire.
Quelques années plus tard, c'est Jean François de Galaup, comte de La Pérouse, qui jette l'ancre à Port-Louis. L'officier de marine y trouve plus que le ravitaillement espéré : il y rencontre Éléonore Broudou, qui deviendra son épouse. Un autre lien affectif entre la France et cette île lointaine se tisse alors.
Si l'Isle de France est devenue une base navale stratégique, elle attire également des personnages plus audacieux, à la frontière de la légalité. Le plus célèbre d'entre eux est sans conteste Robert Surcouf, l'illustre corsaire malouin qui fait de Port-Louis son repaire privilégié à partir de 1795. Surnommé « le Roi des Corsaires », Surcouf utilise l'île comme base arrière pour ses opérations contre les navires britanniques dans l'océan Indien, enrichissant l'économie locale par ses prises. Sa réputation de marin intrépide et ses exploits spectaculaires – comme la capture du navire britannique Kent en 1800 avec des forces largement inférieures – lui valent une place de choix dans l'imaginaire des habitants de l'île.
La carrière de Surcouf illustre parfaitement la position stratégique de l'Isle de France durant les guerres napoléoniennes. Le corsaire transforme l'île en véritable plaque tournante de la course française, attirant dans son sillage d'autres capitaines audacieux. Port-Louis devient alors un lieu grouillant d'activités où se côtoient marchands, marins et aventuriers. Les autorités françaises de l'île, reconnaissant l'utilité de ces corsaires pour perturber le commerce britannique, leur offrent protection et facilités. Cette période mouvementée forge une identité maritime forte qui marque encore aujourd'hui la culture mauricienne, où le nom de Surcouf évoque toujours l'audace et la liberté des mers.
Bernardin de Saint-Pierre et la naissance d'un mythe littéraire
C'est toutefois avec Bernardin de Saint-Pierre que l'Isle de France entre véritablement dans l'imaginaire collectif français. Ingénieur du roi envoyé sur place en 1768, il publie à son retour « Voyage à l'Île de France » (1773), premier ouvrage détaillé sur ce territoire. Mais c'est surtout son roman « Paul et Virginie », paru en 1787, qui propulse l'île sur le devant de la scène littéraire.
Cette tragique histoire d'amour, ancrée dans les paysages luxuriants de l'île, connaît un succès retentissant. Premier véritable best-seller de la littérature française, le roman de Bernardin de Saint-Pierre offre aux lecteurs européens une vision exotique et romantique de l'île Maurice. Les descriptions de sa nature exubérante, de ses habitants et de leurs mœurs fascinent un public avide de dépaysement.
Le XIXe siècle : l'île vue par les grands noms
Malgré le passage sous administration britannique en 1810, l'île continue d'exercer une attraction particulière sur les voyageurs français. L'explorateur Jules Dumont d'Urville s'y arrête en 1828 lors de son voyage autour du monde. Dans son récit, il dépeint une île prospère où l'on savoure l'art de vivre créole, les soirées au théâtre et les nuits rythmées par le séga.
Mais c'est peut-être Charles Baudelaire qui laisse l'empreinte la plus profonde. Débarqué à Port-Louis en septembre 1841, en route pour les Indes, le jeune poète est subjugué par la beauté des lieux. Cette escale mauricienne lui inspire plusieurs poèmes des « Fleurs du Mal », dont le célèbre « Parfum exotique » où il évoque « des arbres et des fruits aux saveurs de chair ». À travers ses vers, Baudelaire immortalise les senteurs et les couleurs de l'île, contribuant à forger son image de paradis sensuel.
Le tournant moderne : l'ère des navigateurs légendaires et des célébrités
Le XXe siècle voit l'île Maurice se transformer progressivement en destination touristique. Les grands voyageurs français continuent d'y laisser leur empreinte, mais sous des formes nouvelles.
Le navigateur Bernard Moitessier y fait naufrage en 1952. Contraint de séjourner trois ans sur place, il y construit un nouveau bateau avant de reprendre son périple. Son récit « Le Vagabond des Mers du Sud » popularise l'île auprès des amateurs d'aventure.
Dans son sillage, d'autres grands noms de la voile française feront de Maurice une escale privilégiée. Éric Tabarly, légende de la navigation et pionnier de la course au large moderne, s'y arrête à plusieurs reprises dans les années 1970 et 1980 lors de ses traversées de l'océan Indien. Sa présence sur l'île contribue à en faire un point de repère pour les navigateurs du monde entier. Le marin breton, reconnu pour son expertise et sa discrétion, appréciait particulièrement les conditions de navigation autour de l'archipel et le savoir-faire des chantiers navals locaux.
Plus récemment, Maud de Fontenoy marque l'histoire maritime en faisant escale à Maurice en 2003 lors de sa traversée historique de l'océan Indien à la rame. Première femme à accomplir cet exploit, elle reste plusieurs jours sur l'île pour se préparer à la suite de son périple. Son passage médiatisé offre une nouvelle vitrine à l'île et inspire toute une génération de femmes aventurières. La navigatrice reviendra d'ailleurs régulièrement à Maurice pour des événements liés à la protection des océans, renforçant le lien entre l'île et l'engagement environnemental.
Parallèlement à ces épopées maritimes, c'est aussi le temps des célébrités. En octobre 1966, le chanteur belge Jacques Brel, alors au sommet de sa gloire, s'y produit lors de sa tournée d'adieu. Ce passage marque un tournant : l'île entre dans l'ère du star-system. Après lui, défileront les stars françaises Brigitte Bardot, Johnny Hallyday, Jean-Paul Belmondo et Catherine Deneuve, contribuant à façonner l'image d'une destination de rêve pour les Français.
Un héritage vivant
De nos jours, plus de 300 000 touristes français se rendent chaque année à Maurice, attirés par ses plages idylliques, ses hôtels luxueux et son authenticité préservée. Peu savent qu'ils marchent dans les pas de ces illustres prédécesseurs qui, par leurs écrits, leurs arts ou simplement leur présence, ont tissé des liens indéfectibles entre la France et cette île de l'océan Indien.
De Bernardin de Saint-Pierre aux célébrités du XXe siècle, ces illustres visiteurs ont contribué à transformer un simple point sur la carte en un mythe tropical. Un mythe qui, aujourd'hui encore, continue de faire rêver et voyager.