Paroles d’artiste / Catherine Li, l'œil sensible qui révèle l'âme mauricienne

Cette photographe d'auteur mauricienne, qui a troqué les podiums de mode canadiens contre les paysages luxuriants de l'océan Indien, incarne une nouvelle génération d'artistes insulaires. Entre héritage chinois et terres créoles, entre formation occidentale et sensibilité tropicale, elle dessine à travers son objectif un portrait intime et engagé de Maurice, cette île qu'elle a choisie comme terrain de création après des années d'exil volontaire.
Rencontre avec une artiste qui fait de la photographie un manifeste poétique pour la préservation de la beauté du monde.

Si vous deviez vous présenter, que diriez-vous?
Je m'appelle Catherine Li, mariée et mère de deux enfants, photographe d'auteur mauricienne. J'ai vécu pendant plusieurs années au Canada pour les études et le travail dans le domaine du Design de Mode, où j'ai gagné un prix pour un concours national en Design de Mode. J'y ai découvert ma passion pour la photographie, mais ce n'est qu'en revenant vivre à Maurice que j'ai commencé à pratiquer la photographie d'art comme occupation principale. La redécouverte de la nature luxuriante, la lumière et les scènes de vie colorées mêlées aux souvenirs d'enfance y sont sûrement pour quelque chose.

Y a-t-il eu un moment décisif où vous avez décidé de suivre votre voie en tant qu'artiste?
J'ai commencé à voir de l'intérêt pour mon travail en participant à diverses expositions d'art collectives. Ce qui m'a décidée à m'y consacrer à temps plein, c'est mon premier contrat avec Lux Le Morne pour fournir les œuvres d'art des chambres, à travers le bureau d'Architecture d'Intérieur Studio des Îles. À partir de là, je me suis dit que j'avais quelque chose à offrir dans ce domaine et bien plus encore.

Pouvez-vous nous parler du processus de création de vos œuvres?
Je pratique une photographie spontanée sans trop de planification, suivant l'humeur et les circonstances du moment, avec un penchant pour la nature dans tous ses états. Je me laisse guider par mon environnement où souvent une scène ou un détail en particulier m'interpelle. L'important, c'est d'observer. Pour moi, l'appareil photo ainsi que les logiciels numériques ne sont que des outils qui me permettent de mettre sur papier ma mémoire, mes émotions et mes idées. Grâce à des logiciels tels que Photoshop, je peux jouer avec les tonalités ou assembler des photos pour mieux exprimer une idée. Des photos prises sans aucune arrière-pensée trouvent soudain tout leur sens assemblées avec d'autres images... D'autres photos demandent à être converties en noir et blanc pour faire ressortir un sujet principal sans la distraction des couleurs. J'aime aussi jouer avec l'exposition longue pour enlever les détails superflus d'un paysage et en extraire l'essence, la lumière et l'émotion du moment.

Pour quelle œuvre d'art aimeriez-vous que l'on se souvienne de vous?
Ma série "Nature City", où justement j'assemble plusieurs photos de sujets variés tels que l'urbanisme à outrance sur lequel je viens superposer la nature, la faune ou encore des personnages. C'est un plaidoyer pour implanter et préserver plus de verdure dans nos villes et pour un développement durable. Il est très important pour moi de faire passer ce message qui touche le changement climatique et ses causes.

Comment définiriez-vous la beauté?
La beauté pour moi est très personnelle, elle touche chaque individu différemment de par ses expériences et ses souvenirs. Elle diffère aussi à travers l'histoire où les critères de beauté changent assez drastiquement d'une période à l'autre. Dans le monde de l'art et de la photographie, il y a des "règles" de base qui permettent de "juger" la beauté d'une œuvre, mais toutes les règles sont faites pour être brisées ! Pour moi, la beauté, c'est tout simplement ce qui émeut et touche au plus profond de notre être.

Avez-vous une photographie ou une peinture préférée qui vous inspire?
Je suis très inspirée par les peintures de J.M.W. Turner qui parvient à nous faire ressentir l'atmosphère et l'émotion brute provoquée par un paysage tout en restant relativement abstrait et dépouillé dans sa peinture.

Quel est votre plus grand plaisir dans la vie?
De pouvoir vivre de ma passion et d'inspirer mes enfants à en faire de même.

Quel artiste (Mauricien ou étranger) du passé aimeriez-vous rencontrer?
J'aurais bien aimé rencontrer Lin Feng Mian, un artiste chinois, un des pionniers à moderniser la peinture traditionnelle chinoise en y incorporant les techniques et les couleurs de la peinture expressionniste européenne. Il était un parent éloigné de la famille de ma grand-mère paternelle et a eu une vie très riche et en même temps très éprouvante, ayant vécu la révolution culturelle entre autres, mais il a toujours su garder son intégrité dans son art.

Interagissez-vous avec le monde numérique/la technologie dans votre travail?
Nous avons de la chance, en tant qu'artiste, d'avoir toute cette technologie qui nous permet d'atteindre une audience à travers pratiquement le monde entier. Ce serait dommage de ne pas l'utiliser ! C'est sûr que cela prend beaucoup de notre temps et je suis loin de l'utiliser au maximum, mais c'est toujours pratique pour faire passer des messages à travers les réseaux sociaux et partager mes nouvelles photos. Bien sûr, je l'utilise à travers les logiciels pour éditer mes photos et créer des images qui donnent une autre dimension à la photographie traditionnelle qu'on connaît.

Avez-vous déjà eu un moment où vous avez entièrement remis en question votre carrière?
Non, j'aime trop ce que je fais. Je l'ai déjà fait une fois en laissant derrière moi ma carrière en Design de Mode et maintenant je suis dans la Photographie d'Art pour y rester.

Quelle est votre routine quotidienne lorsque vous travaillez?
Après avoir fait une sortie photo, je télécharge mes photos et je fais une sélection en les classant dans différents thèmes. Je commence ensuite à travailler sur les meilleures photos, qui sont toujours en format RAW, donc qui nécessitent de retravailler les couleurs, la luminosité, etc. Je décide par la suite celles que je veux imprimer ou publier. Si j'ai des commandes ou commissions spéciales, je m'occupe à les formater et à les envoyer chez l'imprimeur et l'encadreur.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune artiste qui voudrait suivre vos pas?
Toujours croire en ses idées et oser de nouvelles choses. S'inspirer des autres tout en restant original. Surtout, il faut savoir persévérer, ne pas se décourager au moindre échec ; à la longue, les efforts finiront par payer.

Pourquoi aimez-vous ce que vous faites?
La photographie me permet de sublimer une expérience vécue et de la partager avec les autres. C'est toujours excitant de revenir d'une sortie et d'en voir le résultat, de se remémorer une scène particulière et de découvrir comment l'appareil photo l'a enregistrée, si elle émet les mêmes émotions que j'ai ressenties lors de la capture de l'image. Elle me permet aussi de passer un message sur des sujets qui me touchent beaucoup. Finalement, de voir l'effet qu'une image peut provoquer chez les autres est toujours gratifiant.

Y a-t-il un avantage à être une femme artiste?
Je ne sais pas s'il y a un avantage à être une femme artiste car je n'ai jamais été un homme artiste ! À part peut-être le fait qu'avec les différents mouvements, il y a beaucoup de concours ou d'expositions qui ne s'adressent qu'aux femmes.

Un compliment qui vous fait fondre?
Le meilleur compliment que j'ai reçu, c'est d'une personne qui m'a avoué avoir découvert la photographie comme art en regardant une de mes photos qui l'avait profondément touchée. Pour moi, c'est ce qui m'importe le plus et qui donne un sens à ce que je fais. C'est facile de prendre des photos de nos jours, mais réussir à toucher l'autre n'est pas donné à tout le monde.

À quel point l'île Maurice est une source d'inspiration pour vous?
L'île Maurice est la raison pour laquelle je me suis lancée dans la photographie comme métier, donc je dirai du début à la fin ! J'aspire à capturer l'essence même de Maurice, notre identité unique définie par notre histoire, notre population multiculturelle, notre douceur de vivre ainsi que notre faune et notre flore. J'espère conscientiser les Mauriciens à apprécier cette chance que nous avons de vivre sur cette île merveilleuse et de ne pas la prendre pour acquis.