Dans le cadre de la Semaine de la gastronomie durable à Heritage Le Telfair, Jean-François Bérard a dévoilé, hier, une masterclass aussi singulière qu'édifiante, intitulée « L'eau dans tous ses états ». Un voyage culinaire où chaque geste technique se transforme en manifeste écologique, où la précision du geste rejoint l'élégance du propos.
Le lagon dans l'assiette
Tout commence au jardin, avec la cueillette d'une fleur baptisée « Butterfly Pea » (fleur de clitoria). Délicate, « un peu féminine » selon les mots du chef, cette fleur devient l'élément central d'une alchimie visuelle surprenante. Plongée dans une eau à peine frémissante – car « il faut être très délicat » –, elle libère une teinte azur qui évoque immédiatement les lagons de l'océan Indien. « De façon érotique », précise le chef, révélant ainsi toute la sensualité qui préside à son art.
L'assiette se construit alors comme un tableau impressionniste : le bleu du lagon côtoie le vert intense d'un jus de roquette obtenu par un procédé révolutionnaire utilisant de l'eau pétillante riche en azote. « Normalement, on blanchit puis on refroidit. Là, c'est ultra rapide », explique-t-il. Enfin, l'huile d'olive vient incarner le soleil. Trois éléments, une philosophie.
La cuisson nacrée, un art du temps suspendu
Au cœur de cette création se trouve un poisson cuit selon une méthode d'une précision horlogère. Dans un bouillon de fleurs où « les membranes rappellent la faille rocheuse », le poisson est saisi à une température ne dépassant jamais 60 degrés, obtenant ainsi cette texture nacrée tant recherchée. « Quarante-quatre degrés à cœur, c'est l'excellence », affirme le chef avec la certitude de celui qui a maîtrisé son sujet.
La cuisson à la vapeur de bambou révèle une autre facette de son savoir-faire. Une minute trente au-dessus de la vapeur, puis le poisson poursuit sa cuisson hors du feu, gagnant naturellement trois à quatre degrés. « C'est la cuisson parfaite », conclut-il simplement.
L'ail qui devient algue
L'accompagnement mérite à lui seul un chapitre. Des crevettes infusées dans une eau exposée au soleil selon la méthode Ho'oponopono, « remplie d'ondes positives ». De l'ail cuit à la vapeur de bambou dans un panier contenant roches, coquillages et algues. « L'ail devient algue, façon utopique », résume le chef. Cette transformation poétique illustre sa capacité à transcender les ingrédients, à leur faire jouer d'autres rôles que ceux auxquels on les destine habituellement.
Et puisque rien ne se perd, les crevettes sont ensuite récupérées, mixées en pâte onctueuse. « Zéro déchet. Mission accomplie », se félicite-t-il.
Une prise de conscience
Mais au-delà de la prouesse technique, cette masterclass porte un message plus profond. Le chef évoque un incident marquant : un jour sans eau dans sa cuisine. « Je n'étais pas fier. Comment on fait ? » Cette expérience l'a transformé. « Il faut avoir un choc pour prendre conscience des choses. »
Désormais, chaque geste est pensé. Lorsqu'un jeune commis laisse couler l'eau inutilement, il intervient : « On va se calmer, doucement. » Car pour lui, l'eau n'est pas qu'un simple outil de travail. « En cuisine, c'est primordial. Dans le jardin, c'est primordial. Pour l'homme, c'est primordial. L'eau, c'est la vie. »
Cette masterclass aura ainsi démontré qu'excellence gastronomique et conscience écologique ne sont pas antinomiques. Au contraire, elles se nourrissent l'une l'autre pour donner naissance à une cuisine qui respecte autant les papilles que la planète. Une leçon de goût et de responsabilité dont les jeunes générations de cuisiniers feraient bien de s'inspirer.