Alors que la France s'apprête à accueillir la troisième Conférence des Nations Unies sur l'Océan (UNOC) du 9 au 13 juin 2025 à Nice, co-organisée avec le Costa Rica, l'île Maurice cristallise tous les paradoxes du développement touristique face aux enjeux de préservation marine. Selon une enquête de Sciences et Avenir, ce petit État insulaire de l'océan Indien illustre parfaitement l'urgence des débats qui animeront les 20 000 délégués attendus sur la Côte d'Azur.
Un laboratoire tropical de la destruction
L'aire marine protégée de Saint-Félix, dans le sud de Maurice, offre un spectacle saisissant. Derrière les bungalows en faux matériaux traditionnels d'un hôtel de luxe se cache un véritable désastre écologique : coraux morts, herbiers marins arrachés, plages en érosion. "L'image est falsifiée", constate avec amertume Thitra Tanthul, biologiste en charge de ce projet de conservation "volontaire" de 42 hectares.
Cette destruction méthodique trouve son paroxysme dans les chiffres révélés par l'étude : 83% des coraux de la réserve ont blanchi durant l'été austral 2024-2025, la moitié étant définitivement morte. Un phénomène d'une ampleur inédite qui s'inscrit dans la catastrophe mondiale identifiée par la NOAA américaine, qui recense 84% de coraux blanchis à l'échelle planétaire en janvier dernier.
Le tourisme, un secteur à double tranchant
Représentant 25% du PIB mauricien, l'industrie touristique permet à cet ancien territoire britannique d'accéder au statut de "pays à revenu intermédiaire". Mais cette manne économique se paie au prix fort. En 2002 déjà, les complexes hôteliers occupaient 96 kilomètres des 177 kilomètres de côtes, soit 54% du littoral de l'île.
Cette pression foncière s'accompagne d'une logique destructrice systématique. Les herbiers marins sont arrachés car jugés inesthétiques pour la clientèle, privant les écosystèmes de leurs capacités d'assainissement naturel. Le batatran, cette liane rampante qui protège les plages de l'érosion, disparaît lui aussi pour permettre aux vacanciers d'étendre leurs serviettes.
Quant aux mangroves, véritables barrières naturelles contre la pollution, elles ont frôlé l'extinction : de 2000 hectares à l'origine, il n'en restait plus que 45 en 1980. Malgré cinquante ans d'efforts de replantation, elles ne couvrent aujourd'hui que 200 hectares.
Douze thèses pour quantifier l'urgence
Face à ce constat alarmant et au manque criant de données scientifiques, douze doctorants vont tenter de mieux quantifier l'impact des activités humaines sur les massifs coralliens, herbiers marins et mangroves mauriciens. Ce programme de recherche, financé par Expertise France (filiale de l'AFD), ambitionne de faire la part entre les phénomènes climatiques globaux et les pollutions locales.
"Nous ne savons rien de la teneur en nitrate et en phosphate des rejets hôteliers", dénonce Thitra Tanthul. Une ignorance préoccupante quand on sait que les coraux ont besoin d'une eau claire et peu nutritive pour survivre. Car au-delà du réchauffement climatique, ce sont tous les apports terrestres - rejets d'assainissement défaillant, agriculture, industries - qui participent à l'agonie des récifs.
L'avertissement ignoré depuis vingt-cinq ans
Dès 2000, le chercheur D. Daby alertait déjà : "L'extension du tourisme peut être pointée comme abîmant agressivement ce capital naturel primordial dont dépend son développement futur et sa survie". Vingt-cinq ans plus tard, cet avertissement prophétique n'a manifestement pas été entendu.
L'enjeu dépasse désormais le cadre mauricien. L'Objectif de développement durable 14, au cœur des discussions de l'UNOC 2025, prévoit explicitement que les petits États insulaires doivent "mieux bénéficier des retombées économiques de l'exploitation durable des ressources marines" d'ici 2030.
L'île Maurice pourrait-elle devenir le symbole d'une révolution touristique respectueuse de l'environnement ? Ou restera-t-elle l'illustration tragique d'une industrie devenue "victime de son propre succès" ? La réponse à cette question conditionnera en grande partie l'efficacité des engagements qui sortiront de la Conférence de Nice, dix ans après les Accords de Paris sur le climat.
Enquête réalisée à partir du reportage de Loïc Chauveau pour Sciences et Avenir, dans le cadre de la préparation de l'UNOC 2025.